Vie quotidienne, censure et propagande

Le service de la censure, qui relève du Ministère de l'Intérieur, ouvre dès le 30 juillet 1914. Une note indique qu'il est "interdit de transmettre des nouvelles de la guerre sans qu'elles n'aient été communiquées ou visées par le bureau de presse du ministère".

Dès le 2 août, tout attroupement sur la voie publique est interdit, les "auteurs de pillage, cris ou chants séditieux dans les lieux publics" pouvant être immédiatement déférés devant les conseils de guerre, en vertu de l'état de siège.

 

"Interdiction de publier des renseignements de nature à nuire à nos relations avec les pays alliés, les neutres, ou relatifs aux négociations politiques.

Interdiction en outre d'attaquer les officiers, de parler des formations nouvelles, de reproduire des articles parus dans les journaux étrangers.

Avis de décès : ne doivent pas indiquer le lieu où le défunt est tombé.

Interdiction de publier des articles concernant expériences ou mise en service d'engins nouveaux, des cartes postales ou illustrations reproduisant des canons ou engins de guerre nouveaux ou du matériel ancien modèle, dans un paysage pouvant faire découvrir le lieu de l'emploi. 

Interdiction de publier des interviews de généraux.

Surveiller tout ce qui pourrait sembler une propagande pour la paix. 

Interdiction de publier cartes postales renfermant scènes ou légendes de nature à avoir une fâcheuse influence sur l'esprit de l'armée ou de la population ; cartes postales représentant du matériel nouveau, armes, engins de toutes natures.

Suppression des  manchettes en tête des communiqués officiels."

(Décret du gouvernement français, 5 août 1914)

 

La censure vise ainsi tous les procédés tels que "la presse, les livres et les brochures, les affiches et les placards, la distribution d'imprimés. L'autorité militaire a donc le droit de supprimer les journaux qui seraient dangereux pour le maintien de l'ordre et de la discipline".

Les journaux ne sont donc plus criés sur la voie publique, les manchettes interdites pour ne pas inquiéter l'opinion publique. Les directeurs pratiquent l'auto-censure, d'où des "zones blanches" dans les journaux de cette période. 

A cela s'ajoutent les difficultés matérielles, la mobilisation des journalistes, la chute du lectorat. Ainsi, en juillet 1914, L'Humanité titrait à 115 000 exemplaires, contre 70 000 en août, et 50 000 en décembre de la même année. 

La population n'a donc plus accès à l'information, et les rumeurs les plus folles peuvent circuler. Le système de propagande peut se mettre en place, l'information n'étant plus transmise que par des journalistes militaires et des correspondants accrédités. 

 

Les instructions sont également très claires concernant les spectacles : "Les salles de spectacles et de débit (hôtels, auberges, cafés) resteront, en principe, ouvertes, sous la réserve qu'elles pourront être fermées par simple décision de l'autorité militaire. Aucune représentation, de quelque nature qu'elle soit, ne pourra être donnée sans que le programme ait été approuvé par l'autorité militaire". 

C'est ainsi qu'à Nantes, un arrêté municipal du 1er août 1914 ordonne la fermeture immédiate des théâtres, cafés chantants et interdit tout spectacle, jusqu'à un nouvel arrêté, le 6 mars 1915, en permettant la réouverture sous conditions. De plus, il faut verser "pour les concerts et conférences, la totalité de la recette, déduction faite des frais de salle, droits d'auteurs et cachets du conférencier et des artistes".

La première Commission nationale d'examen et de contrôle cinématographique, créée en 1916, délivre un visa aux films autorisés, qui ne doivent contenir aucune scène "de nature à choquer les sentiments patriotiques des spectateurs ou à provoquer des discussions entre eux".

 

 

La propagande s'ajoute à la censure. Les programmes scolaires promeuvent le patriotisme victorieux face à la lâcheté du monstrueux Allemand.

" Sur les conseils de Mr le Recteur d'Académie de Rennes, les méthodes, les procédés et les programmes d'enseignement sont adaptés aux circonstances. L'Education patriotique fait la base de l'enseignement. Toutes les leçons de Morale, d'Instruction civique, d'Histoire, de Géographie, de Récitation, de Lecture ont pour objet de développer par des exemples pris sur le vif, l'amour de la Patrie chez les enfants. [...]

Dans les premières classes, tous les succès de nos armes et nos alliés ont été relatés et de véritables leçons ont été faites. Les maîtres se sont attachés à montrer que pas à pas, et par étapes, nous nous acheminions vers la victoire, grâce à l'héroïsme de nos soldats et notre bonne organisation intérieure. "

 

Les cours et exercices sont donc autant de prétextes à inculquer aux élèves "l'esprit de sacrifice nécessaire", comme avec ce problème de calcul : 

 

" Un de nos voisins souscrit à l'emprunt et verse 68.60 francs qui lui rapportent 4% d'intérêts par an. Combien cette somme lui aura-t-elle rapporté au bout de 10 ans ? S'il revend alors sont titre de rente de 100 francs, combien gagnera-t-il sur ce titre ? Quel sera son bénéfice total ? "

 

La censure et la propagande doivent influencer les sentiments des Français vis à vis de la guerre, maintenir le moral des troupes. Il ne faut pas transmettre d'idées pacifiques. Il est nécessaire que les civils ignorent tout des conditions de vie des Poilus. Ceux-ci créent leur propre presse, les journaux de tranchées. 

On se méfie de son voisin...  

Les affaires sont difficiles, la circulation restreinte, le moindre mouvement surveillé...